Les polissons, hier, aujourd'hui, et
demain
Dostoïevski consacre un chapitre de
ses Démons à décrire les actes d'un groupe occulte, « les
nôtres », qu'il appelle aussi (en traduction) « les
polissons ».
Ces actes, dont on apprend ensuite
qu'ils ont été programmés et mis en scène par leur leader
Verkhovenski, et constituent une entreprise révolutionnaire,
consistent en un sabotage d'allure comique, même si c'est un comique
grinçant, de la fête culturelle donnée par la femme du gouverneur.
Tout tourne mal dans cette fête, depuis le début, jusqu'à une
confusion grandissante, pratiquement une émeute, tant le « public »
est la véritable cible de l'action menée: le peuple doit
contribuer, sans comprendre qu'il est manipulé, à déstabiliser le
pouvoir.
Le mépris du peuple fait partie de la
stratégie. Puisque son rôle lui est dévolu sans qu'il le sache, il
ne sert que de masse de manœuvre dans l'entreprise de sape par
l'absurde menée par les polissons.
Ridiculiser tue, le prestige du
gouverneur est pris par le défaut de la cuirasse: la sottise
irresponsable de sa femme, libérale, acquise aux « idées
avancées », amie des arts et des lettres sans distance
critique, victime de sa candeur idéaliste.
Les polissons encerclent le pouvoir
local, celui du gouverneur de la province, en l'infiltrant.
Verkhovenski fait partie du comité organisateur, il a acquis la
confiance de la femme du gouverneur, il a tout pouvoir sur le
déroulement de la fête. Il est donc dans une position double,
un double jeu, à cheval sur les deux mondes, celui qu'il veut
détruire, et celui qui émerge, le camp des révolutionnaires. Plus
exactement, il entreprend de détruire un monde qu'il a su infiltrer,
il en est, mais il le hait.
La fable de l'auteur vaut pour la
Russie pré-révolutionnaire, elle a aussi une portée posthume et
vaut pour notre époque, où ceux qui agissent encore en vue de « la
révolution » manipulent les « masses » dans le
cadre de la démocratie, s'insèrent dans l'élite au pouvoir et la
phagocytent du dedans. C'est le fameux « entrisme » des
trotzkystes, jamais abandonné même lorsqu'ils se disent
« socialistes », « la gauche » etc. Ils
entrent dans des institutions qui ne résistent pas à leur intrusion,
et qui implosent dans de brefs délais. Les exemples ne manquent pas tout
près de nous, le PS, le PC, l'assemblée nationale où ils font les
« polissons » et tournent en dérision le débat des
députés élus. Ils géreraient bientôt les prisons pour retourner
le personnel et embrigader les détenus, cette « masse
pré-révolutionnaire » qui servirait de bélier lancé contre
la république laïque, dont ils ont aussi retourné le nom. Leur
ancêtre le faisait depuis sa forteresse Pierre et Paul, le fameux
Netchaiev, qui a inspiré les bolcheviks à une génération de
distance.