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vendredi 16 février 2018

Migrations fatales


Migrations climatiques

Mon jardin a changé, il s'est désertifié.
En quelques années, environ quinze ans, ses habitants, qui semblaient plus permanents que nous mêmes (des générations qui se sont succédé peut-être depuis Jeanne d'Arc) se sont raréfiés, puis, ont disparu.
Des nids d'hirondelles sont encore attachés aux poutres de l'entrée, et sous un auvent : nombreux, poussiéreux, faits d'une boue durcie par les siècles. Ils étaient habités par un peuple agité, bavard, renouvelé  chaque année par une nichée qui pullulait sous la voûte. Quand le soir tombait, ils piquaient sur l'herbe du jardin, en rase mottes, pour gober au passage des insectes qui formaient un nuage impalpable.
Mais ces insectes ont disparu entre temps. Si les hirondelles revenaient habiter la maison, elles seraient privées de cette pitance jadis abondante, réduites à aller prospecter ailleurs, ce qu'elles ont bien dû faire. Leur migration vers chez nous et retour a fait place à l'absence, au silence.
Un temps, les buissons étaient comme un tourbillon, bruissant, étincelant au soleil. Un lierre épais couvre l'escalier de la cave et des abeilles d'une couleur pâle, comme blanches, y butinent, ainsi que sur un romarin exubérant. Un été de canicule, ces insectes ont laissé leur place à des insectes plus gros et d'une couleur orangée bien suspecte, comme si c'étaient des envahisseurs venus de loin. Leur nid se trouvait dans des cavités du mur extérieur, et ce n'était pas une ruche. Depuis lors, les abeilles blanches se font rares, et de même les gros bourdons noirs qui peuplaient les roses trémières semblent comme absents, errant en petit nombre sur des fleurs devenues plus rachitiques, naines.
Les insectes sont décimés par les insecticides empoisonnés, non par une vague de chaleur, selon l'aveu même de notre voisin apiculteur, qui perd la moitié de ses ruches. Il s'est jadis empoisonné lui-même en aspergeant des plantations, comme bien d'autres qui en sont revenus, mais le mal est fait.
Ces espaces dégagés par le génocide de la faune minuscule ne se libèrent pas pour de nouvelles migrations, faute d'offrir à de nouveaux arrivants assez d'aliments. De même, les mers privées des ressources en poissons et autres faunes aquatiques ne se remplissent que de déchets inertes et asphyxiants, comme ce continent de soupe plastique qui a envahi le Pacifique sur une surface égale à l'Europe.
Par contre, les populations humaines croissent et se multiplient comme jamais, entraînant ces dégâts par leur demande de consommation sans cesse amplifiée. Un pillage des animaux qu'on croyait éternels et bien plus anciens que l'homme vient nourrir ces milliards d'appétits voraces, et si un équilibre finit par se rétablir, ce sera parce que tous ces hommes auront gaspillé ce capital millénaire et se retrouveront démunis, gagnés par une famine à l'échelle des destructions qu'ils auront causées pour faire durer peu de générations, et sans lendemain. La perte de l'homme ouvrirait alors la porte à un repeuplement généralisé, qui n'accepterait de nouveaux hommes que si leurs mœurs diffèrent des nôtres.
Cet appétit vorace et le nombre de ceux qui l'éprouvent ont mis à sac des ressources pérennes, ce qui n'arrivait pas lorsque les goinfres, comme le Trimalcion du festin raconté par Pétrone, étaient une « élite » rare, une poignée de débauchés par ailleurs controversés pour leur hybris. Que ces mœurs effrénées gagnent la planète, qu'on fasse de « la croissance » des ressources exploitables une norme universelle, et c'en est fini de la pérennité de notre propre espèce. Le scénario d'une disparition des hommes est étrange, déjà visible dans des cas spéciaux : on a observé dans la zone désertée autour de Tchernobyl la réapparition d'une jungle, toutes les espèces sauvages anciennes semblent revenues du Moyen âge pour repeupler les espaces libérés par force par les populations ukrainiennes. Souffrant de malformations génétiques, elles pullulent tout de même, elles succèdent aux hommes sur des terres dévastées.


Merci au défunt Agefi Bliss d'avoir publié ces élucubrations mélancoliques

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